Oeuvres

…eine Wanderung mit Robert Walser (1997)

György Kurtág + Biographie

pour piano

Kurtág compare volontiers ses désormais dix cahiers de pièces pour piano à un « pèlerinage dont le but serait de retrouver ce qu’on l’on a appris lors de notre enfance ». Dans ce sens, il ne considère pas ces pièces comme des compositions, mais comme des exercices s’inscrivant dans la tradition de Scarlatti (Essercizi per gravicembalo (c. 1730) pour clavier en guise de sonates) ou de Bach (Clavier-Übung, un titre repris plus tard par Ferruccio Busoni). Un des élèves de Kurtág lui avait précisément demandé des exercices pour s’échauffer efficacement avant son travail. Joignant alors l’utile à l’agréable, il y associe l’exercice didactique à l’usage ludique. Aussi écrit-il dans la préface du premier tome : « Le bonheur du jeu, le bonheur du mouvement – circuler sans peur et, s’il le faut, avec rapidité sur tout l’espace du clavier, dès le début de l’apprentissage, au lieu de chercher la note avec circonspection, au lieu de compter les rythmes – ce projet d’abord un peu vague aura finalement été à l’origine de ce recueil. »
Ces fenêtres musicales sont l’occasion pour lui de proposer des expérimentations à petite échelle de procédés compositionnels typiques, issus de la tradition musicale ou du folklore. Il met dans ce sens un point d’honneur à employer le parlando-rubato, rapprochant le discours musical du dialogue parlé où intonation se confond avec inflexion. Il travaille aussi sur la notation musicale, employant symboles et signes inédits pour décrire des actions simples à appliquer au clavier : « Croyons à l’image de la partition, laissons-la agir sur nous » continue-t-il. Et l’expérimentation du compositeur de se compléter par celle de l’interprète, lequel découvre une manière nouvelle, plus spontanée peut-être, d’aborder son instrument.
Au travers de la centaine de pièces que comptent les Jákétok, Kurtag compose pour deux ou quatre mains et exclusivement pour piano. Il y offre de récurrents hommages à des personnalités qui l’ont marqué personnellement ou inspiré esthétiquement (Eötvös, Paganini, Tchaïkovski, Boulez, Verdi, Solchany entre autres). Il emploie des « objets trouvés ou volés » à ses prédécesseurs, qui constituent parfois le point de départ ou la toile de fond de ses piécettes. L’hommage est aussi réflexif, puisque Kurtág envisage ce recueil comme un « voyage autobiographique ou le voyage biographique de chacun de nous ». 
Dans la lignée de son mentor Béla Bartók – on pense à For Children (1908-1910) ou aux six cahiers des Mikrokosmos (1926-39) –, Kurtág écrit en partie ses Játékok dans un but pédagogique. Il reprend ainsi la perspective enfantine et ludique du piano, entouré par l’aspect vierge et innocent de l’enfance. Puis, il parsème parcimonieusement sur les toiles neuves que sont ses portées vides, de précis d’impacts verticaux et sonores. Ceux-ci sont tant de gouttes de rosée égarées finissant par perler sur le clavier, cahin-caha, au seul gré de l’instinct du temps. Minutieuses et méticuleuses, ces touches de peinture ouvrent des horizons insoupçonnés, comme dans eine Wanderung mit Robert Walser, une œuvre brumeuse qui fait référence à l’écrivain suisse, interné à la fin de sa vie à Herisau et dont le tuteur Carl Seelig rapporta les récits de leurs promenades.
Le goût de Kurtág pour la brièveté, il le tient entre autres d’Anton Webern dont il a recopié la moitié de l’œuvre. Lors d’un entretien, il relève néanmoins que Beethoven et Schumann avaient déjà expérimenté la forme brève, ce format qui fait abstraction de tout élément superflu ou non essentiel à la compréhension du propos. Kurtág a, lui aussi, acquis le sens du dire peu pour dire beaucoup. Même si son travail compositionnel l’a déjà amené à éliminer un bon tiers du matériau musical prévu au départ, il trouve tout de même qu’il « en reste encore trop », ce qui lui fait dire qu’il ne faut jouer qu’une partie des Játékok, et non songer à les interpréter dans leur intégralité à la suite les unes des autres.

Christophe Bitar
 

Concerts SMC Lausanne

Lundi 25 Septembre 2023 (Saison 2023-2024)
Weber Katharina
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