Oeuvres

Cells (1993-1994)

Hanspeter Kyburz + Biographie

pour saxophone et ensemble

Après des études de musicologie à Berlin, où il passe « beaucoup de temps avec les philosophes », Hanspeter Kyburz, né en 1960 à Lagos au Nigeria, se met à « réfléchir sur les techniques de composition de manière à ce qu’elles fassent sens dans un contexte philosophique ». Pourtant, il ne s’exprime pas volontiers sur son œuvre. Sa musique possède une force concentrée, une puissance d’expression qui naît paradoxalement de fortes contraintes structurelles, liées à des principes de formalisation générés par l’ordinateur. En ce sens, sa démarche de compositeur est aux antipodes de celle de Holliger, qui vise à préserver la spontanéité de l’invention.
Cells (1994) est sa première œuvre d’importance. Kyburz s’y est inspiré des travaux de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant, sa reconnaissance des objets et la constitution d’un champ spatial, dont la maîtrise est progressive. Le premier mouvement correspond ainsi au premier stade de cette maîtrise, où aucun comportement ne distingue l’enfant du monde extérieur : musicalement, c’est un flux de phénomènes réalisé grâce à un algorithme qui règle les apparitions et les disparitions d’objets sans lien entre eux, le saxophone solo se fondant dans l’ensemble. Le second mouvement renvoie à un second stade : il est marqué par l’émancipation du soliste et par des processus qui se chevauchent. Le troisième mouvement est progressivement envahi par des lignes chromatiques liées dans l’esprit du compositeur à l’expérience spatiale, à une « ligne infinie » qui règle la présence/absence des objets. Dans le dernier mouvement, il y a déplacement des objets les uns par rapport aux autres et la flûte comme l’alto échangent leurs places.
L’œuvre résulte « des premiers essais très développés avec une syntaxe orientée sur des processus, permettant de donner une plasticité à la différenciation de structures récursives. Ce n’est pas l’ordre formel, quasi architectural, du matériau musical qui devait être au centre de tels processus génératifs, mais la naissance progressive de structures musicales, grâce à des connexions dynamiques entre les composantes. C’est précisément en me concentrant sur les possibilités de connexion d’éléments plus ou moins complexes et hétérogènes que j’ai pu aboutir à des formes plus souples et en même temps plus cohérentes ». Pour construire les algorithmes dont il se sert dans Cells, Kyburz s’est référé à un système élaboré par le biologiste Aristid Lindenmayer visant à formaliser la croissance et la variété des plantes.
L’algorithme livre une disposition, une succession,
mais ne régit pas tous les détails du déploiement formel. Certaines décisions peuvent infléchir le processus pour modeler la forme : dans le premier mouvement de Cells, par exemple, Kyburz applique un filtrage d’où résulte une forme en arche. Grâce à l’application du langage Common lisp, le compositeur peut introduire par ailleurs un critère de contexte dans ses algorithmes. Dans le troisième mouvement, il utilise douze critères pour un geste harmonico-rythmique qui possède ainsi un caractère malléable.
Kyburz travaillera toujours par la suite avec de tels procédés. « L’algorithme est d’abord un classement de matériaux. Il aide simplement. Je regarde d’abord le matériau que j’ai esquissé et avec lequel j’aimerais travailler, et j’y aperçois surtout des conflits, des chances aussi, bien sûr, mais c’est encore très ambivalent. Je dois donc penser à la manière de construire ce matériau à partir d’une combinatoire, puisque je veux relier ces matériaux isolés entre eux ». Les algorithmes servent ainsi à construire une continuité puis à « générer un prototype » de la composition, qui permet à Kyburz d’acquérir un nouveau point de vue sur ce qu’il avait imaginé :
« Parfois ils font exactement ce que je veux et parfois ils m’étonnent ». « L’ordinateur me permet une distance dans l’observation, je puis écouter vraiment. […] D’autre part, il est tout aussi important quand on compose que l’on ne sache pas ce que l’on fait. Et cet aspect ‘naïf’ est progressivement subverti par la différenciation croissante que nous permet un ordinateur. Il est donc très important que le compositeur conserve quelque part cette naïveté de son action ».
Cells est une œuvre qui met donc en scène, au fil des cinq mouvements très différenciés qui la composent, un jeu instrumental d’une grande énergie,  avec de nombreuses tentatives de rassemblement et d’homogénéisation qui semblent littéralement arrachées au chaos. Les passages structurés sont d’ailleurs davantage une ouverture ou une libération qu’une consolidation et la musique y rayonne alors d’une énergie éminemment sensuelle, voire théâtrale, inspirée et véhiculée par une puissante imagination sonore. Mais l’oeuvre connaît aussi des instants de calme, d’évidence, échos de la musique concertante traditionnelle, lorsque certains instruments solistes ou de petits groupes de timbres insolites attirent sur eux l’attention : distance et rapprochement sont alors rendus évidents par ces moments où l’oreille est focalisée sur des éléments individualisés et où l’unité du collectif (comme d’ailleurs la temporalité et l’itération du discours) est momentanément suspendue, offrant de vrais moments de poésie pure… (Philippe Albèra / William Blank, en utilisant un texte de Martin Kaltenecker)

Concerts SMC Lausanne

Lundi 17 Mars 2014 (Saison 2013-2014)
Ensemble Contemporain de l'HEMU & Lemanic Modern Ensemble
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