Oeuvres

Sideshow (2009-2015)

Steven Takasugi + Biographie

Théâtre musical pour octuor amplifié et électronique sur des textes de Karl Krauss

Part I :
« The Destinies of Hallucinations »
Mouvement I : « The Man Who Couldn't Stop Laughing »
Mouvement II : « Sodom by the Sea or Mildew of an Inner
Room of the Eternal Return of the Same »
Part II :
« Hard Times and a Happy Ending or
A Laboratory for Self-Destruction »
Mouvement III : « Electrocuting an Elephant »
Mouvement IV : « A Surgical Procedure : The Human Fish »
Mouvement V : « Mourning Glory and Parade Clothes »

« Fermez les yeux. Imaginez-vous avoir remonté le temps. Vous vous retrouvez au début du siècle dernier. Vous êtes dans un parc d’attractions, avec votre famille, pour divertir vos enfants : un tour de manège, un jeu d’habileté, un regard dans une boîte où l’on voit des photos animées et puis une étape chez l’homme qui rit. Il est marrant ce bonhomme qui ouvre la bouche et montre toutes ses dents. Il fait « Hahaha !». Il rit, il rit et il rit encore. Il ne s’arrête pas… Il ne s’arrête plus. Son rire continu cesse bientôt d’être amusant pour devenir sinistre puis résolument inquiétant… Vous regardez autour de vous, petit à petit tout commence à se dégrader : les jeux fonctionnent au ralenti et la musique laisse la place à une cacophonie insupportable, pendant que l'homme continue à rire, à rire, à rire… »
Voilà les images que Steven Takasugi évoque en musique, avec Sideshow, un octuor amplifié accompagné d’une bande enregistrée, où  il illustre de manière très réaliste le côté sombre des Luna Parks de Coney Island, la célèbre baie de plaisance de New York.
Sideshow est en effet une méditation sur le monde du spectacle, sur la splendeur et la misère des parcs d’attractions, ces lieux de divertissement qui, il y a quelques années encore, cachaient des réalités effrayantes, entre pratiques sinistres, violence contre les animaux et exploitation d’individus difformes. C’est le cas des « freaks shows », une des attractions les plus courantes, où l’on exposait en tant que « monstres » des personnes désavantagées par la nature, dans une course au profit qui ignorait l’humanité. Le public ne manquait pas, la  curiosité morbide étant trop forte. Diane Arbus, la célèbre photographe qui s’intéressait aux marginaux de la société, avouait elle-même que ses visites nocturnes à Coney Island lui provoquaient « un mélange de honte, d’effroi et de respect ».
Après les clichés d’Arbus et la revanche des « freaks » au cinéma, dans la célèbre Monstrueuse Parade de Tod Browning de 1932, la musique pouvait-elle dépeindre cet univers parallèle, sans utiliser les images ou la parole ? Takasugi a relevé le défi, grâce à un immense travail de recherche sonore, qui lui a permis d’intégrer la musique en direct avec des sons enregistrés parfaitement adaptés au sujet.
La dimension universelle des aphorismes de Karl Krauss, que Takasugi a associée à son œuvre, suggère, quant à elle, une permanence des ombres. Ne serions-nous pas, aujourd’hui, aussi en train de commettre des atrocités, qu’un jour nos descendants nous reprocheront ?
Né en 1960 à Los Angeles, Steven Takasugi est un compositeur de musique électroacoustique. Fasciné par la collecte et l'archivage d'échantillons sonores, il les classe dans de grandes bases de données. Chacune d’elles réunit des milliers d’extraits qu’il a collectés au cours des dernières décennies. Ceux-ci sont ensuite soumis à une composition algorithmique assistée par ordinateur, révisés et ajustés jusqu'à ce que les phénomènes sonores, les énergies et les relations qui en résultent révèlent au compositeur des significations et des contextes cachés. À ce projet général de support fixe s’ajoute généralement un certain nombre d’interprètes sur scène. Cette relation crée souvent un « étrange dédoublement ». Elle joue sur le « qui fait quoi ? » inhérent à l'électronique fixe ou joué en direct  : une sorte de ventriloquie.
Ce qui est vu face à ce qui est entendu crée  un second discours et propose une réflexion sur la place de l’interprète sur scène. Quelque chose cloche dans ce concert en apparence banale . Les musiciens qui entrent sur scène, sont normaux, propres, tirés à quatre épingles. Ils sourient toutefois un peu trop. Une théâtralité insoupçonnée germe de loin en loin.
Bientôt apparaissent des bruits d’un corps organique. Une vocalité entravée. Le son est éructé par l’impossibilité de dire. Des charivaris de bouches passent dans les haut-parleurs qui offrent un accès direct au visqueux et au baveux. Les entrailles des musiciens éclaboussent vos tympans et l’œuvre de Takasugi devient politique.
En montant sur scène, l’interprète devient un interné ; comprenez : un être scénique. Un monstre de chair et de son qui se montre. Il se déballe et se dévoile à vos yeux et vos oreilles. Alors, comme une baguette magique, notre regard le transforme. Une exhibition de freaks en costumes noirs nous tend les bras. Nous aimons ça. Et Karl Kraus de nous rappeler gentiment que « les aliénés sont toujours reconnus par les psychiatres au fait qu’après l’internement, ils montrent un comportement agité. »

Concerts SMC Lausanne

Lundi 07 Octobre 2019 (Saison 2019-2020)
Nouvel Ensemble Contemporain (NEC)
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