Oeuvres

La notation dans la musique contemporaine (2004)

Conférence + Biographie

conférence

Qu’est-ce que la notation musicale? Des signes visuels renvoyant à des phénomènes sonores. La complexité de ces derniers rend toute adéquation parfaite avec les signes notés impossible: il existe toujours, entre le signe et la réalité musicale, un espace qu’il faut remplir par la connaissance du style, l’intuition, l’interprétation. Dans l’histoire de la notation, qui fut d’abord un aide-mémoire, les différents aspects du phénomène musical ont été pris en compte progressivement: les accents prosodiques, puis le rythme précis, la hauteur des notes relative puis absolue, la constitution des accords, et bien plus tardivement, les dynamiques, les timbres, le tempo. Dans le phénomène musical, les données qui sont indépendantes des circonstances, comme les hauteurs et le rythme, ont donc été fixées en premier, alors que les données plus sensibles comme les dynamiques, qui dépendent de l’instrument, de l’acoustique et du contexte musical, ont été plus tardives. Cela correspond à l’évolution même de la pensée musicale: ce n’est qu’au XIXème siècle, et plus encore au XXème, que la couleur sonore (le timbre) et les dynamiques ont commencé de jouer un rôle structurel et non plus seulement décoratif. L’intégration progressive de phénomènes complexes, proches du bruit, a ainsi posé de grands problèmes de notation, comme l’utilisation des micro-intervalles ou des rythmes très complexes: au XXème siècle, chaque compositeur a ainsi été amené à inventer ses codes personnels.
L’interprétation des signes dépend beaucoup du contexte stylistique. On peut s’en rendre compte a posteriori avec la musique ancienne et les débats qu’elle suscite. Dans la musique récente, l’utilisation de sonorités nouvelles a conduit les compositeurs à inventer des signes individuels, de façon pragmatique plutôt que de façon systématique (la notation évolue avec la pensée et l’imagination musicales); ces signes demandent souvent des explications placées en exergue de la partition, ou la présence du compositeur. Toutefois, il faut noter que les tentatives pour réformer la notation traditionnelle ont toutes échoué à s’imposer: la structure de la portée, avec beaucoup d’ajouts, est restée le moyen le plus universel pour noter la musique. Beaucoup de signes graphiques ont pourtant été introduits, et la notation trouve ses limites lorsque le phénomène musical ne se laisse plus décomposer en éléments simples: la musique électronique pose ainsi des problèmes fondamentaux de notation (les suites de nombres qui permettent de réaliser une pièce avec ordinateur ne sont pas lisibles par un musicien, ils n’évoquent aucun phénomène sonore: la notation se doit d’être un intermédiaire entre le son et sa représentation, et pas seulement un moyen de codifier celui-ci).
Cela peut nous amener à réfléchir sur la relation entre notation et invention. Car les signes visuels ne sont pas seulement une façon de noter ce qui a déjà pris forme dans l’imagination du compositeur, ou ce qui est joué par l’interprète, mais ils ouvrent à la pensée elle-même des horizons nouveaux; on parlera en ce sens d’écriture plus que de notation. À ce point, on constate qu’il n’y a pas forcément transparence entre ce qui s’écrit et ce qui s’entend, et que l’écriture possède une dimension spéculative qui excède la perception. Elle a d’ailleurs été un facteur d’évolution essentiel dans l’histoire de la musique occidentale.
Au cours de cette conférence, nous aborderons quelques aspects seulement de la notation, en évitant de faire un catalogue des très nombreuses formes de notation. Il s’agira surtout de saisir comment des conceptions nouvelles exigent des notations adéquates: à l’intérieur des anciennes structures, ou en en façonnant de nouvelles. Nous prendrons quelques exemples liminaires dans le répertoire, notamment à propos du rythme chez Stravinsky, puis nous aborderons la notation particulière d’œuvres de Boulez, Feldman, Ligeti, Holliger, Stockhausen, Ferneyhough, Nono, Kurtág, Lachenmann, etc. liées à des univers sonores chaque fois différents. Nous nous attacherons surtout à la relation entre conception musicale et notation. Les partitions seront projetées sur un écran et les passages analysés seront diffusés. (Philippe Albèra)

Concerts SMC Lausanne

Lundi 25 Octobre 2004 (Saison 2004-2005)
Albèra Philippe
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