Rescousse (2003-2004)

Gérard Pesson, Rescousse pour ensemble (2003-04)
Estimer que composer procède d’une mûre réflexion, de procédés étendus dans le temps, c’est peut-être se priver de jaillissantes idées insoupçonnées, de motifs qui surgissent brusquement et que l’on note à la volée ; une musique fraîche et disruptive, incongrue et inattendue. Rassembler ces notes éparses, reléguées sans cesse à la marge d’un travail long et soigné, c’est venir à la rescousse d’une « fièvre de l’énergie mangeuse d’idées », mouvement brusque et souvent précipité. « Dans Rescousse, j’ai laissé jouer ce mouvement de contamination des idées en indexant à chacune des 19 séquences enchaînées une idée que j’avais notée en marge de mes lectures musicales » confie Gérard Pesson. Ces 19 sections, ce sont des marginalia, digressions audacieuses – pas toujours pertinentes dans leur contexte –, des à-propos qui s’égarent, qui seuls, peinent à convaincre, mais gagnent en force dans leur association.
Rescousse devient ainsi un bouquet de fleurs musicales cueillies çà et là, au gré des pérégrinations artistiques de leur auteur : un rythme de Messiaen qui suit une chanson anglaise du XIX^e siècle, avant qu’un mode du Maghreb ne précède une berceuse d’Ethiopie. Tantôt c’est l’esprit de Colon Nacarrow (1912-1997) et sa folie technique de recherche de vitesse, tantôt c’est une page d’Helmut Lachenmann (né en 1935) qui inspire des fragments inopinés. Comme référence au procédé de marginalia, Gérard Pesson emprunte un vers à la poétesse américaine Susan Howe, extrait des Marginalia de Melville, qui met à l’honneur les commentaires marginaux de l’auteur de Moby-Dick, et tout l’héritage culturel qu’ils transpirent.
Mises bout-à-bout, ces flâneries glanées au fil de l’eau convergent dans un « torrent en crue » dans « un mouvement de vertige, qui donne licence au hors sujet ». C’est l’effet marginalia.
Texte : Christophe Bitar