Oeuvres

1+1=1 (2006)

Pierluigi Billone + Biographie

pour deux clarinettes basses

Pierluigi Billone, 1+1=1 pour deux clarinettes basses (2006)
1+1=1 ! Derrière cette apparente faute arithmétique se cache une esthétique profonde, une compréhension de la fusion qui peut émerger de l’association d’éléments jumeaux. Pierluigi Billone fait référence au film d’Andrej Tarkovskij, Nostalghia (1983) dans lequel le personnage de Domenico verse deux gouttes d’huile dans sa main et s’exclame : « une goutte plus une goutte, cela fait une goutte plus grande, pas deux ! » Ainsi, cette œuvre tend à créer un seul instrument à partir des deux clarinettes basses, qui se fondent l’une avec l’autre. C’est un Gesamtklang, un suono totale. Les artistes de ce soir voient cette œuvre comme « une sorte de rituel qui naît grâce à un monologue intérieur et à la fusion des sons : c’est comme un bain sonore. »
L’œuvre est dédiée au duo Stump-Linshalm et trouve son origine dans les débuts de leur collaboration avec le compositeur. Tandis que les deux interprètes travaillaient Mani.Long (pour ensemble, 2001), ils sont devenus amis avec Pierluigi Billone et, autour d’un café, ils lui ont proposé d’écrire une pièce d’une dizaine de minutes pour deux clarinettes. Insatisfait d’un format court, Billone a préféré écrire une pièce pour un concert d’un seul tenant, an evening-feeling piece. « C’est une vraie pièce pour clarinette basse » me confie Petra Stump. « Billone y a exploré toutes les capacités de l’instrument par lui-même, puisqu’il possède sa propre clarinette basse. C’est une vraie introspection de l’instrument, qui ne pourrait pas se décliner au basson par exemple. » Fait inhabituel, la pièce a été enregistrée avant sa création en 2006 et a marqué un tournant pour le compositeur, lui ouvrant de nouveaux horizons et de nouvelles perspectives de recherche sonore.
L’un des défis de la pièce est d’ordre pratique : les deux interprètes doivent jouer loin l’un de l’autre, à une distance de huit à quinze mètres. Ce qui permet une « influence acoustique réciproque entre les deux sources » rend également difficile l’équilibre sonore entre les deux clarinettes. Petra Stump-Linshalm et Heinz-Peter Linshalm remarquent néanmoins que la distance peut aider pour jouer certains passages très doux ou demandant beaucoup d’air : « lorsque l’on est plus concentré sur soi-même, cela aide à sortir des sons plus délicats comme les harmoniques, très présentes dans l’œuvre. » Cette distance permet au compositeur d’explorer deux manières de concevoir le son : de manière isolée (articulé autour d’un seul musicien), ou en fusion entre les deux, comme une vibration plus complexe, qui remplirait tout l’espace de jeu. Pour le public, cela rend l’écoute volontairement asymétrique et sans centre idéal d’écoute ; chaque place est indépendante et vit sa propre expérience sonore. « Si l’on est plus proche d’un musicien, on entendra probablement des sons qui sont couverts pour d’autres personnes de l’assistance » ajoutent les interprètes. De plus, la source sonore elle-même est instable : tantôt l’instrument se tait et sa vibration se confond avec le corps même de l’instrumentiste, tantôt il tend à disparaître et vibre tel un discret conduit d’aération. La pièce exploite toutes les sortes de vibrations possibles, des plus faibles aux plus ostentatoires. D’un souffle léger qui pénètre entre les feuillages, on entend soudain les barrissements appuyés d’une créature qui s’approche, tandis qu’une meute sauvage se bat au lointain.
D’une longueur de septante minutes environ, 1+1=1 est un défi de concentration pour les deux artistes qui ne quittent pas la scène de tout le concert. Or, les musiciens nous confient que « paradoxalement, il est plus facile de se concentrer sur une seule esthétique durant une longue période, que d’enchaîner sept morceaux de caractères différents lors d’un même concert. Passé un certain stade, on tombe dans une sorte de méditation qui rejoint l’esthétique globale de l’œuvre. » La pièce se découpe néanmoins en huit sections numérotées qui s’enchaînent, dans des esprits différents, et qui relient des situations opposées les unes aux autres. De fil en aiguille, une « galaxie hétérogène de phénomènes » se forme et conduit à l’espace des mots et de la parole, qui se greffe peu à peu à celui des notes. La frontière entre l’inintelligible et le signifiant est poreuse. A la manière d’une goutte d’huile, le contour du sensé peut évoluer et se confondre selon l’espace dans lequel il s’inscrit.
Au cours des vingt années durant lesquelles le duo a interprété la pièce, leur expérience a changé. « Au départ, la pièce était difficile à interpréter : c’était tendu à jouer d’un bout à l’autre. A présent, nous avons réussi à faire corps avec la partition. Après un concert en Suède, le compositeur nous a dit qu’il ne s’agissait plus simplement d’un jeu de clarinette, mais de véritables sons humains. Nous avions en quelque sorte réussi à transcender les notes pour leur donner une autre dimension. » Au fil des années, le duo a réussi à défendre la pièce dans des conditions différentes et parfois très difficiles. « Nous avons souvenir d’un concert à Tel Aviv, lors d’un festival au mois d’août, raconte Heinz-Peter Linshalm. Notre prestation s’inscrivait dans un long concert et nous jouions autour de minuit. Mais entretemps, la climatisation est tombée en panne, plongeant la salle dans une chaleur et une humidité extrêmes. Billone a alors envisagé d’annuler le concert, craignant pour les conditions de jeu, mais nous avons tout de même assuré la prestation. Le public s’est allongé sur le sol et nous avons passablement transpiré ! Et le concert fut un grand succès. »
Texte par Christophe Bitar
 

Concerts SMC Lausanne

Lundi 17 Novembre 2025 (Saison 2025-2026)
Duo Stump-Linshalm
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